Je mourrais d'envie pour vous parler de ce livre, de vous faire écouter ou réécouter la fabuleuse danse macabre de Camille de Saint Saens, car la danse dans laquelle nous invite Jean Teulé dans son dernier roman est une danse noire.
Prenons la destination du Saint-Empire Romain Germanique et plus particulièrement la capitale alsacienne, Strasbourg. Depuis 1262, la cité strasbourgeoise, affranchie de l’autorité de son prince-évêque est devenue une ville libre. La petite république strasbourgeoise va donc élire ses représentants. L’ammeister, le chef de la ville est élu par les délégués des corporations pour un an.
Petit à petit, grâce notamment au commerce fluvial, Strasbourg va s’agrandir et s’enrichir au fil des siècles. Devenue une véritable place forte, la vie intellectuelle va considérablement être bouleversée par une toute nouvelle invention, l’imprimerie. Dès lors la ville va accueillir près d’une dizaine d’imprimerie faisant d’elle un véritable centre d’imprimerie.
C’est donc sans surprise que l’on voit de nombreux intellectuels et artistes attirés par Strasbourg.
Mais, plus haut on est monté, plus la chute est violente.
Juillet 1518, l’Ammeister de Strasbourg Andreas Drachenfels, marchand de bière de métier aurait bien besoin d’une petite mousse pour se rafraîchir. Accablé par la chaleur de l’été et la sécheresse, les strasbourgeois sont en plus frappé par une véritable famine.
Une belle jeune fille déambule dans les rues de la cité avec un nourrisson dans les bras, se dirige vers la rivière et d’un geste empli de désespoir y jette le pauvre nouveau né. Frau Troffea retourne alors auprès de son mari, un graveur de Strasbourg, assurant à sa femme que se débarrasser de l’enfant était la meilleure chose à faire. Leurs voisins, les Gebviller, eux ont opté pour une toute autre solution.
Sans dire un mot, Frau Troffea va se lever, se diriger dans la rue et danser. Se rongeant les dents avec les os de leur enfant qu’ils viennent de manger, les Gebviller regardent interloqués la jeune femme se trémousser. De petits picotements se font alors ressentir dans les jambes de Jérôme Gabviller qui se lève et danse à son tour.
Cette danse va peu à peu s’étendre et entraîner de plus en plus de personnes qui vont se mettre à danser sans pouvoir s’arrêter. Durant plusieurs jours, c’est avec le diable au corps que ces malheureux vont se déhancher jusqu’à tomber de fatigue. Près de 400 strasbourgeois vont entrer dans cette danse macabre.
C’est ce fait divers des plus étranges que Jean Teulé raconte dans son dernier roman avec son style et son humour qui font son succès depuis ses débuts. Certes le langage utilisé et assez fleuris (comme toujours avec Teulé) ne colle pas à l’époque, mais cet anachronisme ne retire rien à la qualité et l’intérêt de ce roman historique.
A l’ombre des murs des bâtiments officiels et religieux de la ville, l’Ammeister et l’évêque de Strasbourg se disputent sur la résolution de cette épidémie. Si le premier fait tout d’abord appel aux médecins pour venir en aide à la population, il comprend vite que ce qui pousse les gens à la folie c’est la faim. Le religieux lui, y voit la colère divine et se refuse d’ouvrir le garde-manger de l’Eglise.
Si la ville est libérée de son prince-évêque, le représentant de l’Eglise n’en a pas moins la vie d’un prince. Tout comme le Saint-Siège fait payer depuis quelques temps la clémence de dieu (les indulgences) pour financer ses folies architecturales, Guillaume de Honstein capte toutes les richesses et les denrées alimentaires pour son propre compte.
Dans le même temps, les idées d’un moine encore inconnu dénonçant tous ces excès fleurissent un peu partout sur les portes de Strasbourg…mais qui est donc ce Martin Luther ?
Outre ce phénomène étrange et la manière dont il est traité par les autorités de la ville, c’est une véritable critique des travers du catholicisme, mais plus encore, c’est la naissance d’une nouvelle religion qui allait changer le court de l’Histoire qui nous est conté par Jean Teulé.
Je ne peux pas m’empêcher d’ailleurs de vous retranscrire, en intégralité, le dernier chapitre : « Cinquante-quatre ans plus tard, c’était la Saint-Barthélemy ».
Ce court chapitre est en autre une invitation à lire ou relire « Charlie 9 » de Jean Teulé qui vous conduira dans les coulisses de ce massacre, mais aussi une formidable transition pour le prochain article que je vous proposerai.
En attendant, je vous laisse entrer dans la danse.
Vous pouvez également en découvrir un peu plus en retrouvant l'excellent Frank Ferrand qui y a consacré un épisode de son émission "Au cœur de l'Histoire" : http://www.europe1.fr/emissions/au-coeur-de-l-histoire/lintegrale-la-danse-mortelle-07022018-3568091
"Entrez dans la danse" de Jean Teulé, est publié aux Editions Julliard.