Le 19 août 1626, la place du Bouffroy à Nantes a vu une foule immense se masser autour d'un échafaud dressé en son centre. Il est 18 heures lorsque les portes du Château s'ouvrent et en sort un cortège qui emmène Henri de Talleyrand-Périgord à la mort.
Portrait d'Henri de Talleyrand-Périgord, Comte de Chalais.
Qui était Gaston-Henri de Talleyrand-Périgord ?
Fils cadet de Daniel de Talleyrand-Périgord (?-1618), Prince de Chalais depuis trois générations, Comte de Grignols et Marquis d'Excideuil et de Jeanne-Françoise de Lassean-Massencôme, fille du Maréchal de France Blaise de Montluc (1500-1577) qu'il épouse à Excideuil le31 octobre 1587, Henri de Talleyrand Périgord voit le jour en fin d'année 1599.
Priviligié par ses parents et surtout par sa mère, le petit Henri est envoyé dès ses 8 ans à la cours du roi où il deviendra page (jeune noble attaché à servir le roi). Par la suite, désireuse de placer son fils, Jeanne-Françoise se ruine en lui achetant la charge de maître de la garde-robe du roi.
Henri de Talleyrand-Périgord brille également par ses exploits militaires comme la prise de Saint-Jean d'Angely le 25 juin 1621 aux protestants ou le siège de Montpellier en 1622. C'est alors qu'il ambitionne de devenir maître de camp de la cavalerie légère, chose que promet d'un côté Richelieu avant de se moquer de Chalais et dire le contraire aux autres.
L'année suivante, le 4 décembre 1623 il fait un mariage fructueux en épousant Charlotte de Castille, fille de la richissime famille des Castille et veuve du non moins riche Charles Chabot, Comte de Charny. De leur union naîtra une fille, Philippe-Charlotte de Talleyrand-Périgord, qui entrera au couvent où elle décèdera en 1692.
Abre généalogique de Henri de Talleyrand-Périgord.
Charlotte de Castille est réputée pour ses moeurs légères et les rumeurs vont bon train, notament grace à une petite chansonnette mettant en cause l'honneur de son époux :
Pontgibault se vante
D’avoir vu la fente
De la comtesse d’Alais
Qui aime fort les balets
Et dit qu’elle est plus charmante
Que celle de la Chalais
Chalais, pour venger son honneur, provoqua Pontgibault en duel et le tua. Hors, les duels avaient été interdit sous l'impulsion du Cardinal de Richelieu et les duellistes étaient passibles de la peine de mort.
La cours fut divisée sur le sort à accorder à Henri de Talleyrand-Périgord, mais un personnage important de la cours prit fait et cause du Comte de Chalais : Gaston de France (1608-1660), le frère du roi. De ce soutient qui avait sûrement sauvé sa tête (pour le moment), Henri de Talleyrand-Périgord se sentait reconnaissant.
Portrait Gaston de France, duc d'Orléans
L'origine du complot
En 1625, Louis XIII (1601-1643) alors sans héritier (son fils, le futur Louis XIV ne voyant le jour qu'en 1638) et Richelieu souhaitent contrôler le frère du roi, Gaston d'Orléans en le mariant avec Marie de Bourbon, Duchesse de Montpensier(1605-1627). Ce mariage mettait alors fin à tout rapprochement possible de Monsieur le frère du roi et alors seul héritier du trône avec des puissances étrangères.
Poussé par son gouverneur, le Maréchal Jean-Baptiste d'Ornano (1581-1626), Gaston s'oppose à ce mariage et forme autour de lui un groupe, le parti de "l'aversion au mariage". La reine, Anne d'Autriche (1601-1666) elle-même prit parti pour Gaston ainsi que la surrintendante de la maison de la reine, Marie de Rohan, Duchesse de Chevreuse. Bientôt, ce petit clan sera rejoint par des nobles qui s'opposent à l'autorité grandissante de Richelieu et de la remise en cause du système aristocratique par la monarchie dont l'absolutisme naissant est mis en place par Louis XIII et atteindra son paroxisme avec Louis XIV. Parmis les nobles on compte le comte de Soissons, Louis de Bourbon (1604-1641) petit-cousin de Louis XIII et prétendant de Mademoiselle de Montpensier, le Prince de Condé, Henri II de Bourbon (1588-1646), mais aussi César de Bourbon (1594-1665) Duc de Vendôme et demi-frère du roi. Les conspirationnistes cherchent à éliminer Richelieu ainsi que Louis XIII et faire monter sur le trône de France Gaston, avec qui Anne d'Autriche serait alors mariée.
La mise en oeuvre de la conspiration
La Duchesse de Chevreuse est chargée de séduire le comte de Chalais et le rallier à leur cause afin de profiter de sa proximité avec le roi. C'est chose faite, Henri de Talleyrand-Périgord succombe à son charme et pour lui plaire n'ose refuser ce que lui propose Gaston.
Un dîner doit être organisé entre Gaston et Richelieu à Fleury-en-Briève (commune de Seine et Marne), une dispute sera alors provoquée et Chalais devra alors profiter de la confusion pour occire Richelieu en le passant par son épée.
Durant cette même période, le 4 mai 1626, d'Ornano est embastillé pour avoir initié des contacts avec les cours d'Angleterre et de Savoie pour le compte de Gaston.
Mais le Comte de Chalais va parler de ce complot à son oncle, le commandeur de Valençay, de l'Ordre de Malte, qui va lui ordonner de tout avouer au Cardinal de Richelieu et à Louis XIII. C'est donc grâce à celui qui devait le tuer, au bras armé de cette terrible machination que Richelieu doit d'être encore en vie. Il promit alors au Cardinal de l'aider à surveiller le parti de "l'aversion" et faire tomber les conspirationnistes, il devient alors un agent double.
Très vite, Chalais trahit sa parole au grand damne de Richelieu qui pourtant, n'étant qu'un petit noble manipulé par des puissants ne souhaite pas en faire un exemple.
Le procès et l'excution
Peu inquiété lors du procès, le Comte de Chalais est cependant arrêté peu de temps après l'arrivée de la cours à Nantes, le 8 juillet 1626. Celle-ci intervient après que le Comte de Louvigny, Roger de Gramont pourtant ancien ami d'Henri de Talleyrand-Périgord profère à son encontre un ensemble d'accusations concernant les relations de Chalais et du parti de l'aversion. De simple bras armé, il devient sous ces accusations la tête pensante de cette conspiration. Le 18 juillet, Henri de Talleyrand-Périgord est condamné pour le crime de lèse-majesté à être décapité, son cadavre dépecé et sa tête exposée au pont de Sauvetout à la sortie de la ville de Nantes, ses membres attachés à des potences.
Sa mère fit tout pour le sauver et rappela au roi dans divers lettres que son fils avait rendu bien des services au roi, parfois au prix de son propre sang. Louis XIII ne céda pas et accepta seulement d'alléger le supplice à une "simple" décapitaion et que le corps soit remit à la mère.
Mais, la famille comme les proches du Comte de Chalais tentèrent encore de le sauver. Ils décidèrent alors de gagner du temps pour tenter d'interférer auprès du roi en sa faveur en soudoyant les bourreaux de la ville. Tant est si bien qu'il n'en restait aucun à Nantes prêt à exécuter la sentance, les uns ayant disparus et les autres se trouvant malades.
Furieux, Louis XIII commanda qu'un prisonnier soit utilisé pour accomplir la sale besogne et ce fut un cordonnier de Tours, condamné à être pendu dans les jours à venir que fut confié la tache en échange de sa grâce.
Il est donc 18 heures lorsque Henri de Talleyrand-Périgord s'avance droit vers l'échafaud et monte sur le billot. Le bourreau, a qui une épée d'apparat a été confié car la hache qui devait servir à l'exécution à elle aussi mystérieusement disparu, semble plus mal à l'aise que le supplicié, qui grimpe marche après marche, sans aucune émotion et embrassant son chapelet. Les cheveux du comte de Chalais et sa moustache sont alors rasés, la fin est proche. Une ultime prière et une recommandation au bourreau : l'expédier au plus vite.
Malheureusement pour le pauvre Henri de Talleyrand-Périgord, ne s'improvise pas bourreau qui veut. Au premier coup d'épée, Chalais glisse a terre, toujours conscient. Au 4ème coup, le Comte hurlait toujours. Le cordonnier s'acharne alors encore et encore sans jamais parvenir a détacher la tête. Le public gronde. Le bourreau attrape la tête encore accroché au corps et la plaque à nouveau sur le bilot, attrape une petite hache de tonnelier et assène plusieurs coups pour enfin parvenir à détacher la tête, avant d'être placé dans un carosse à destination du couvent des cordeliers. Au total, il lui aura fallut s'y reprendre en 34 fois pour terminer son travail : une véritable boucherie.